Gérer les dépouilles des migrants

Par Tom Westcott à Tripoli

Depuis le début de l’année, 2 860 migrants seraient morts en Méditerranée après avoir pris la mer à bord d’une embarcation de passeurs depuis les côtes libyennes, direction l’Italie. Les bénévoles du Croissant-Rouge libyen, dont les ressources sont très limitées, se retrouvent à devoir prendre en charge les corps gonflés, en décomposition, que l’eau charrie jusqu’au rivage.

Les 10 bénévoles de l’antenne du Croissant-Rouge libyen (CRL) de Tripoli ont repêché près de 100 corps depuis la mi-septembre, en dépit du manque de soutien et de matériel dont ils disposent.

« Les corps atteignent généralement le rivage un ou deux jours après qu’un bateau a coulé, lorsque le vent les ramène vers la côte », a expliqué le chargé d’information du CRL Malek Mohammed Mirsit. « Les garde-côtes ou les pêcheurs nous appellent pour nous prévenir qu’ils ont aperçu des morceaux d’épave ou des corps dans l’eau, mais comme nous n’avons pas de bateau, nous devons attendre que le vent et le courant les charrient jusqu’au rivage ».

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L’équipe du CRL sort un corps de l’eau (Malek Mohammed Mirsit/Croissant-Rouge libyen)

Lorsque les corps comment à approcher du rivage, les bénévoles nagent parfois jusqu’à eux pour les sortir de l’eau.

« Les corps se trouvant dans l’eau depuis trois jours sont dans un sale état, car avec l’eau salée ils accumulent de la pression et gonflent », a dit le bénévole Houssam Nasser.

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Les bénévoles du CRL découvrent un autre corps sur la plage de Garibouli, non loin de Tripoli, que les passeurs utilisent de plus en plus pour le lancement des bateaux (Mohamed Ben Khalifa/IRIN)

Du fait de l’instabilité politique et la porosité des frontières libyennes, le nombre de migrants utilisant ce pays comme base de lancement pour leur traversée vers l’Europe est en augmentation depuis 2013, mais M. Mirsit affirme que c’est depuis la mi-2014 que le nombre de cadavres s’échouant sur les côtes a explosé. 

Les garde-côtes ou les pêcheurs nous appellent pour nous prévenir qu’ils ont aperçu des morceaux d’épave ou des corps dans l’eau, mais comme nous n’avons pas de bateau, nous devons attendre que le vent et le courant les charrient jusqu’au rivage

Depuis que les forces de sécurité ont sévi contre les gangs de passeurs opérant à Zouara, une ville de l’ouest de pays qui servait de principal point de départ aux migrants, le nombre de bateaux partant de la périphérie de Tripoli est en hausse depuis deux mois. Bien que la saison de pointe soit l’été, ils sont encore nombreux à prendre la mer en automne, dans une volonté désespérée d’atteindre l’Europe avant que l’hiver et sa mer agitée ne rendent la traversée encore plus périlleuse. 

M. Nasser relate les détails macabres des corps qu’il a aidé à sortir de l’eau – les estomacs éventrés, les cerveaux s’échappant par les narines, les doigts et les poignets trop enflés pour permettre le retrait d’une alliance, d’une montre. Ces situations, l’équipe les gère sans équipement de protection approprié, pas même de masque.

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Les bénévoles du CRL utilisent des cordes pour remonter le cadavre d’un migrant le long d’une falaise de la plage de Tajouna, dans la banlieue de Tripoli (Mohamed Khalifa/IRIN)

Après avoir rassemblé les corps, l’équipe du CRL les charge dans la seule ambulance réfrigérée de l’organisation afin de les conduire à l’un des deux principaux hôpitaux de Tripoli. Chaque corps est alors examiné par un médecin légiste pour déterminer la cause du décès, et des échantillons d’ADN sont prélevés.

« La Libye n’est pas au point en matière de tests ADN, alors les échantillons sont envoyés en Jordanie, qui nous communique ensuite les résultats », a expliqué M. Mirsit.

Les documents d’identité résistent rarement à leur immersion prolongée, et les corps sont souvent méconnaissables après plusieurs jours en mer. Les résultats ADN sont stockés dans une base de données afin que chaque personne retrouvée soit bien enregistrée, dans l’espoir de faciliter leur identification par la suite.

Peu de migrants ont de la famille en Libye, si bien qu’il est rare que les échantillons ADN permettent d’établir un lien immédiat. Mais des proches inquiets appellent parfois d’autres pays. « Hier par exemple, quelqu’un a téléphoné du Soudan, et aujourd’hui un homme s’est présenté dans nos bureaux. Il s’inquiétait pour son frère qui a embarqué dans un bateau pour l’Europe et dont il n’a plus de nouvelles depuis », a dit Omar Ali Mohamed, qui gère le service des personnes disparues du CRL.

Les proches fournissent des détails, des signes distinctifs pouvant faciliter l’identification – bijoux, tatouage, ou même vêtements. Lorsqu’ils ont la possibilité de se rendre à Tripoli, des prélèvements ADN sont réalisés puis comparés à la base de données.

À lire également : Better management of dead and missing migrants needed in Europe (L’Europe doit améliorer sa gestion des migrants morts et disparus

Face à un tel afflux, les bénévoles, trop peu nombreux, attendent que 40 corps soient en attente à la morgue avant de procéder à l’inhumation. Mais la procédure n’est pas simple. Le personnel médical et les bénévoles doivent tenter de déterminer la religion de chacun des défunts. Les documents d’identité et les bijoux aident parfois à identifier les chrétiens, tandis que la circoncision chez les hommes est un indice permettant de supposer qu’ils sont de confession musulmane.

À Tripoli, les chrétiens sont enterrés dans un cimetière italien hérité de l’époque coloniale, et les autorités ont prévu un cimetière spécial pour les dépouilles non identifiées des hommes, femmes et enfants musulmans ayant péri en mer Méditerranée.

Un périmètre du cimetière est réservé aux personnes dont la religion n’a pas pu être déterminée. « Nous traitons toutes ces dépouilles avec respect, dans la tradition musulmane », a dit M. Mirsit.

Chaque tombe est signalée par deux morceaux de marbre sur lesquels est gravé le numéro d’identification renvoyant à la base de données ADN. L’un est placé au sol, et l’autre à l’intérieur de la tombe pour garantir que le rapprochement entre le corps et la base de données reste possible même si la surface du sol venait à être dérangée.

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Des tombes de migrants au cimetière chrétien de Tripoli. Toutes sont signalées par une pierre tombale portant la date de l’enterrement et le numéro de référence renvoyant à la base de données ADN ( Tom Estcott/IRIN)

Seuls trois des volontaires ont été formés par la branche libyenne de Comité international de la Croix-Rouge (CICR), établie en Tunisie depuis que le conflit a éclaté à Tripoli à l’été 2014.

« Bon nombre de nos bénévoles sont des jeunes désireux d’aider leur pays », a dit M. Mirsit. « C’est une question d’humanité, une volonté d’aider là où nous le pouvons. »

Stephen Fonseca, conseiller médico-légal auprès du CICR, a qualifié l’action des bénévoles du CRL de « travail humanitaire exceptionnel, mené dans des conditions difficiles ».

Je travaille avec rien et nous avons besoin de tant de choses. Nous n’avons pas de tenues de protection appropriées, et la plupart des bénévoles portent leurs vêtements habituels pour repêcher les corps

Le CICR a commencé à former les équipes libyennes et les approvisionner pour la gestion des cadavres en 2011, afin qu’elles soient opérationnelles dans les zones frappées par le conflit. Le porte-parole du CICR Ammar M. Ammar a expliqué que l’organisation avait renforcé son soutien aux équipes ces deux dernières années, avec la détérioration de la situation sécuritaire et la multiplication du nombre de cadavres de migrants s’échouant le long de la côte libyenne. Ce soutien s’est traduit par la formation de plus de 80 bénévoles à la manipulation appropriée des cadavres, et par la fourniture de sacs mortuaires et d’équipements de protection.

Mais ce soutien n’est pas à la hauteur des besoins, d’après Abduhamid Swehi, qui dirige l’équipe de gestion des cadavres de Tripoli. « Je travaille avec rien et nous avons besoin de tant de choses », a-t-il dit. « Nous n’avons pas de tenues de protection appropriées, et la plupart des bénévoles portent leurs vêtements habituels pour repêcher les corps », a-t-il dit. « Nous avons désespérément besoin d’un bateau pour faciliter notre mission, et d’un autre véhicule. »

M. Ammar a dit que la Croix-Rouge avait fourni 1 345 sacs mortuaires aux 12 antennes du CRL depuis le début de l’année, mais M. Swehi a indiqué que le nombre de sacs reçu par l’équipe de Tripoli est rarement suffisant.

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Les fournitures de base nécessaires à la gestion des corps, notamment les sacs mortuaires, viennent souvent à manquer (Mohamed Ben Khalifa/IRIN)

Le peu d’argent que reçoit le CRL provient de dons de membres de la société civile ou d’entrepreneurs locaux, souvent alertés de la situation désespérée par la page Facebook de l’organisation.

« Nous ne recevons par la moindre aide du gouvernement », a expliqué M. Swehi. « Nous continuons de faire de notre mieux, mais toute aide – dons d’argent ou de matériel – serait la bienvenue de la part d’organisations internationales ou de la communauté internationale »

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