Les Balkans, une route semée d’embûches pour les réfugiés handicapés

Depuis le début de l’année, plus de 700 000 migrants et réfugiés ont effectué la traversée entre la Turquie et la Grèce ; puis, ils ont emprunté la route des Balkans pour rallier l’ouest de l’Europe. Le périple est épuisant et dangereux, même pour les jeunes et les valides. Les risques et les difficultés se multiplient pour les blessés et les handicapés. 

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 15 pour cent de la population mondiale est atteinte d’un handicap. Personne ne connait le pourcentage de réfugiés souffrant d’un handicap ou de problèmes de mobilité qui ont emprunté la route des Balkans cette année, mais pour leur grande majorité, ils fuient les zones de guerre. Bon nombre d’entre eux ont été blessés au cours du conflit ou pendant leur périple ; quant aux réfugiés atteint d’un handicap préexistant, leurs familles considèrent qu’ils sont trop vulnérables pour être abandonnés à leur sort, même si cela veut dire qu’elles devront les pousser ou les porter pendant la traversée de la Turquie ou de l’Europe. 

Bashar est originaire de Homs, en Syrie. Il a perdu une jambe à cause du diabète. Il voyage avec son fils, sa belle-fille - qui est enceinte - et ses deux petits-enfants. Ensemble, ils ont réussi à rejoindre la frontière macédo-serbe. Bashar dispose encore de son fauteuil roulant. 

Le petit-fils de Bashar, également prénommé Bashar, est âgé de sept ans. Il porte la jambe prothétique de son grand-père.

Le petit-fils de Bashar, également prénommé Bashar, est âgé de sept ans. Il porte la jambe prothétique de son grand-père.

Les travailleurs humanitaires qui interviennent en Grèce expliquent que bon nombre de réfugiés souffrant d’un handicap doivent abandonner leur fauteuil roulant avant de monter dans un bateau ou sont forcés à les jeter par-dessus bord quand les passeurs surchargent les embarcations. 

Le Comité de secours international (International Rescue Committee, IRC) distribue des fauteuils roulants sur l’île grecque de Lesbos, où bon nombre d’embarcations accostent. La demande dépasse parfois l’offre. « Nous avons été confrontés des pénuries, tout simplement parce qu’il n’est pas toujours facile de fournir une telle quantité de fauteuils roulants », explique Rowan Cody, coordinatrice sanitaire de l’IRC. 

Il arrive que les fauteuils roulants distribués cessent de fonctionner pendant le trajet, ajoute-t-elle. « Ils ne sont pas conçus pour être utilisés sur les routes qu’ils empruntent ». 

Une grande partie de la route des Balkans peut être effectuée en car ou en train, mais « il y a encore des endroits où ils doivent marcher », explique Mme Cody. 

C’est le cas à la frontière entre la Macédoine et la Serbie. Le fauteuil roulant de Bashar n’est pas d’une grande utilité ici. Plusieurs kilomètres de terrains boueux séparent les deux pays. En Macédoine, des bénévoles conduisent Bashar aussi loin qu’ils le peuvent, jusqu’à la fin du chemin de terre. Ensuite, ils l’installent dans une brouette, sans oublier sa jambe prothétique. 

Pane Ignov, qui travaille pour La Strada, une organisation non gouvernementale (ONG) macédonienne, un autre réfugié et Maher, le fils de Bashar, poussent et tirent l’homme handicapé sur une route cahoteuse jusqu’à la frontière. Parfois, ils s’embourbent et Bashar gémit de douleur. 

Les hommes remettent Bashar dans son fauteuil roulant et traversent un ruisseau sur des palettes de bois. 

Finalement, au sommet d’une petite colline, ils l’assoient sur un imperméable, sous un arbre, pour qu’il se repose. A ses côtés se trouvent deux réfugiés âgés qui ne peuvent pas non plus marcher. 

M. Ignov ne peut pas accompagner Bashar jusqu’en Serbie. Il essaye de contacter ses homologues de l’autre côté de la frontière dans l’espoir qu’ils viennent chercher les trois réfugiés handicapés. Personne ne répond à ses appels et les familles doivent trouver une solution elles-mêmes, tandis que des nuages noirs et menaçants s’amoncellent et qu’un vent froid souffle.

Doaa, la belle-fille de Bashar, est enceinte. Elle se repose non loin de là avec ses deux enfants, tandis que Maher va chercher de l’aide. Au loin, on voit deux véhicules de la police serbe à l’arrêt. Pas d’aide à l’horizon.

M. Ignov dit que lui et les autres bénévoles rencontrent au moins quatre migrants souffrant d’un handicap ou d’un problème de mobilité par jour. Au mois d’octobre, les chiffres étaient encore plus élevés, car un nombre record de 218 000 migrants ont traversé la Méditerranée pour rejoindre la Grèce et ont emprunté la route des Balkans pour rallier le nord de l’Europe. 

« Nous ne pouvons pas toujours fournir des brouettes », explique Driton Maliqi, qui travaille pour l’ONG macédonienne Legis. Il explique que les brouettes qu’ils distribuent leur sont rarement rendues et que lorsqu’il n’y en a pas, les réfugiés handicapés doivent parfois être portés. 

La distance que les réfugiés doivent parcourir à pied pour franchir la frontière entre la Grèce et la Macédoine est assez courte, car un camp de transit a été construit à Gevgelija pendant l’été, mais les procédures de demande de fauteuil roulant sont compliquées. 

Massur Nasser pousse son ami, Gazi El Fadour, installé dans une brouette qui a un pneu crevé à Horgos, en Serbie. M. El Fadour a perdu ses jambes lors de l’attaque de l’université d’Alep par l’EI. Les deux hommes voyagent ensemble depuis leur r…

Massur Nasser pousse son ami, Gazi El Fadour, installé dans une brouette qui a un pneu crevé à Horgos, en Serbie. M. El Fadour a perdu ses jambes lors de l’attaque de l’université d’Alep par l’EI. Les deux hommes voyagent ensemble depuis leur rencontre en Turquie il y a quelques mois.

« Le réfugié doit dire à l’officier de police à la frontière qu’il a besoin d’un fauteuil roulant. Ensuite, l’officier de police évalue la validité de la demande. S’il approuve la demande, il appelle la Croix-Rouge et leur demande un fauteuil roulant », explique Mme Andreevska.

Récemment, les conditions se sont améliorées à la frontière entre la Macédoine et la Grèce, car les autorités macédoniennes ont mis du gravier sur la première section du chemin boueux qui mène à la frontière serbe. Mais les 600 derniers mètres doivent encore se faire à pied. Ensuite, les ONG basées en Serbie peuvent en général amener des véhicules pour transporter les personnes handicapées. Mais certains jours, la boue est trop profonde pour que les véhicules 4X4 accèdent à la zone et la majorité des ONG n’interviennent pas le soir, ce qui veut dire que les réfugiés handicapés dépendent de leurs amis et des membres de leur famille pour les porter. 

A plusieurs reprises, j’ai vu des réfugiés porter des réfugiés [handicapés] dans des couvertures ou sur leur dos
— Gabriela Andreevska, bénévole


M. Maliqi explique que son organisation travaille avec des ONG serbes pour essayer de trouver une solution. On parle d’utiliser des voitures pour faire franchir la frontière aux personnes handicapées, mais pour l’instant, aucun accord n’a été trouvé entre les deux pays. 

L’IRC prévoit également de venir en aide aux ONG serbes et de leur fournir des fauteuils roulants, des béquilles et des déambulateurs. 

Mme Cody s’attend à ce que les problèmes liés au temps froid se multiplient au cours des prochains mois : gelures, cas de pied de tranchées, hypothermies et infections respiratoires. Elle explique que l’IRC et d’autres agences cherchent des moyens pour améliorer l’aide aux réfugiés qui souffrent de problèmes de mobilité, plus particulièrement aux frontières. « C’est difficile quand les routes changent régulièrement », explique-t-elle à IRIN. « Les solutions que nous mettrons en œuvre devront être très mobiles ».