Les frappes aériennes turques font des victimes civiles

 

Article et photos par Chloe Cornish

Le village de Zargali est situé dans le nord de l’Irak, près de la frontière iranienne. Il se trouve au beau milieu des montagnes de Qandil, à plus d’une heure de voiture de la ville la plus proche. La route pour s’y rendre emprunte des virages en épingle sous d’abruptes falaises et serpente à travers des vergers.

Malgré les températures estivales élevées, le paysage, traversé par une rivière bordée de noyers, est paisible et verdoyant.

Or, le 1er août, la paix qui régnait dans le village a été anéantie lorsque des avions de guerre turcs ont commencé à bombarder la région dans le cadre de l’offensive contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le PKK est un groupe séparatiste basé en Irak qui entend créer une région kurde autonome dans le sud de la Turquie.

IRIN fait partie des rares médias étrangers qui se sont rendus dans le village de Zargali pour constater les dommages causés par les bombardements. Les autorités turques soutiennent que les frappes ciblent exclusivement les militants, mais le PKK dit qu’il n’a aucun combattant dans la région.

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Selon des responsables locaux, au moins huit civils ont été tués par les frappes aériennes.

On ne sait pas qui dit la vérité, mais, ce qui est certain, c’est que ce sont les résidents ordinaires qui semblent avoir été les plus durement touchés par l’offensive aérienne. Mohammad Hassan, co-président de la municipalité locale, a dit que huit civils étaient morts et que 16 autres avaient été blessés. Aucun combattant n’a été tué, a-t-il ajouté.

« Je lui ai dit de ne pas aller au village », raconte Rebwar, un jeune homme de 26 ans, décrivant sa dernière conversation avec son ami Karokh. « Mais il a répondu qu’il devait y aller. » Karokh était en visite dans un village voisin de Zargali lorsque la première frappe aérienne a touché la maison familiale et tué sa mère. Il s’est hâté de retourner chez lui pour aider son père.

« Je voulais l’accompagner », a admis Rebwar. « Mais ma famille ne m’a pas laissé faire. »

Vingt minutes plus tard, tandis que les secouristes se précipitaient pour dégager les blessés coincés sous les débris, une deuxième bombe est tombée au même endroit. « C’était une catastrophe. Il y avait beaucoup de cadavres et une horrible odeur de chair brûlée. J’ai aperçu la jambe de Karokh sous les décombres », a dit Rebwar. « C’était un homme bon. »

Double front ?

La mort de Karokh met en évidence les différences marquées qui existent entre la politique de la coalition dirigée par les États-Unis et celle des autorités turques dans la région. Karokh faisait partie des Peshmerga, les forces armées de la région semi-autonome du Kurdistan irakien, qui sont souvent considérées comme un allié important de l’Occident dans la lutte contre l’EI.


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Depuis l’attaque, Um Bahram envisage de quitter la région avec sa famille.

À la fin du mois dernier, la Turquie a signé une entente avec le gouvernement américain et annoncé le début d’une campagne de bombardements ciblant l’État islamique (EI) dans le nord de la Syrie. Au même moment, le pays a lancé une nouvelle campagne de bombardements contre les séparatistes du PKK vivant en exil dans les montagnes du nord de l’Irak, violant du même coup le cessez-le-feu signé en 2013. Les militants du PKK sont également accusés d’une série d’attentats-suicides et de meurtres ciblés perpétrés en Turquie ainsi que du sabotage d’un oléoduc important.

Depuis le début de la campagne, toutefois, des dizaines d’attaques ont été perpétrées contre le PKK dans la région du Kurdistan irakien, dans le nord du pays, mais une poignée seulement contre l’EI en Syrie. On s’inquiète ainsi qu’Ankara utilise la menace des islamistes comme excuse pour se venger de vieux ennemis.

Les conséquences des bombardements ont été désastreuses pour la communauté rurale de Zargali. Ava Shin, qui travaille comme médecin dans la petite clinique du village, était en train de soigner les victimes d’un attentat à la bombe ayant eu lieu dans un autre village lorsque Zargali a été touché. Elle confirme qu’il y a eu une double frappe.

« J’ai vu une des victimes. Ses intestins lui sortaient du ventre », a dit Mme Shin, les deux mains sur l’abdomen. « Il vivait encore, mais il était en choc et il avait perdu beaucoup de sang. Il est mort sous mes yeux. »

« [Un autre] est plongé dans le coma. J’ai vu un patient avec une blessure à la tête et un autre qui avait perdu une oreille. Une autre patiente a perdu quatre membres de sa famille. »

Un porte-parole du PKK qui a dit s’appeler Zagros nous a permis d’accéder au site du bombardement. Le PKK a des postes de contrôle un peu partout dans la vallée et les journalistes doivent obtenir son consentement pour circuler. Zagros a dit que cinq maisons avaient été détruites.

Il ne restait aucune trace des bâtiments à l’exception de débris de béton. Des éclats de bombes étaient visibles au milieu des décombres. Zagros a pointé l’endroit où avait été découverte la victime de la première frappe et précisé qu’il s’agissait d’une femme âgée, ce qui concorde avec le récit de Rebwar.

« Des combattants du PKK sont évidemment venus aider les blessés. Je suis moi-même venu aider », a insisté Zagros. « Mais je ne vis pas dans ce village. »

« Nous n’avons pas de bases à proximité. Elles se trouvent plutôt dans les montagnes. Nous n’utilisons pas les villages comme bases. Où est la plus proche ? Je ne peux pas vous le dire ! » a-t-il dit en riant.

Zagros a dit que le PKK ne s’attendait pas à ce qu’il y ait une frappe aérienne sur Zargali. « Tout le monde sait qu’il s’agit d’un simple village. Nous ne nous battons pas contre la Turquie ici. Les habitants vivent simplement leur vie. Ils n’ont pas à payer pour les combats. »

« Toutes les cibles sont choisies dans des zones où l’on peut, en se basant sur des renseignements concrets, conclure avec certitude qu’il n’y a pas de civils », indiquait la déclaration des autorités turques.

« Il est établi qu’il n’y a pas de civils dans le camp de terroristes de Zargali et que des hauts placés du PKK étaient présents au moment de l’opération. »

Nous n’avons pas vu d’éléments permettant de croire que Zargali était ou est un « camp terroriste », mais la cible des frappes turques ne peut être totalement discréditée, car il est établi que des combattants du PKK circulent dans la région.

« Nous n’avons pas la force nécessaire pour leur résister », a dit un homme du village voisin au sujet des combattants du PKK. « Nous leur avons dit 100 000 fois de ne pas venir dans les villages, mais ils continuent de le faire. » Massoud Barzani, le président du gouvernement régional du Kurdistan, a également appelé le PKK à quitter la région afin d’empêcher de nouvelles pertes humaines.


Déplacement

Pour de nombreux résidents, cette attaque est la goutte qui fait déborder le vase. C’est la deuxième fois en deux ans que ces villages sont la cible d’une offensive aérienne turque. Ils ont également été attaqués au mortier par les forces iraniennes et bombardés par Saddam Hussein. La protection des montagnes en fait un endroit idéal pour cultiver la terre, mais il s’agit aussi, historiquement, d’un repaire pour les guérillas.

Les ruines d’un certain nombre de maisons ayant été détruites lors de l’attaque.

Les ruines d’un certain nombre de maisons ayant été détruites lors de l’attaque.

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), environ 900 personnes ont fui Zargali depuis l’attaque pour se réfugier à Warta, un sous-district situé un peu plus à l’ouest.

Um Bahram fait partie des personnes qui prévoient de quitter leur foyer. Elle habite dans un village voisin de celui de Zargali et affirme vivre dans la peur. « Nous avons vraiment peur de rester ici maintenant ; nous nous attendons toujours à entendre un bruit de drone », a-t-elle dit, montrant du doigt les fissures qui sont apparues sur les murs de sa maison à la suite de l’explosion provoquée par la frappe aérienne. « Si nous sommes venus aujourd’hui, c’est parce que nous devions travailler sur notre terre. »

« Nous prévoyons de dîner ici et partir avant le coucher du soleil. »

« Mon neveu a été tué », a-t-elle dit. « Ils appartiennent tous à notre peuple, à notre tribu. »

Zahra, sa fille de 10 ans, se tient près d’elle. « Ma fille n’a rien mangé pendant plusieurs jours. Elle avait peur et elle était en choc », a dit Um Bahram. « Mon mari est parti à Diana (une ville située à proximité) pour nous trouver un logement... Ce sera difficile. Mais que voulez-vous ? Il faut bien sauver notre peau. »

Sabah Ibrahim enseigne à l’école primaire de Zargali. « Nous avons évacué vers 4 heures du matin pendant la première nuit de bombardements. Ils sont revenus à deux reprises. Ce n’est pas la première fois que nous sommes témoins de frappes aériennes, mais nous n’avions encore rien vu de pareil. »

Lorsque la déflagration a fait éclater les fenêtres et réveillé sa famille, Sabah s’est précipité à l’extérieur pour voir si sa voiture était en feu. Ce n’était pas sa voiture qui était en feu, c’était le coteau au complet. Autour de sa voiture, les arbres flambaient comme des torches. Alors qu’il se précipitait pour aller récupérer son véhicule, Sabah a trouvé une fillette inconsciente allongée sur la route : elle avait été projetée jusque-là par la force de l’explosion. La bombe a atterri à environ 250 mètres de la maison de Sabah. Un tronc carbonisé se dresse maintenant là où se trouvaient auparavant ses noyers.

« Ils ont même bombardé la rivière », a-t-il dit, l’air incrédule.

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Le père de Sabah, Ibrahim, qui vit à Zargali depuis 73 ans, est déterminé à y rester.

« J’ai une fille de sept ans ; son esprit et sa santé psychologique ont été affectés par ces affrontements », a dit Sabah en égrenant son chapelet. « Elle se réveille la nuit et se met à pleurer. Nous faisons de notre mieux pour la calmer en lui disant qu’il ne s’est rien passé et que cela n’arrivera plus. Nous ne pouvons en être certains : nous voulons simplement l’aider. »

Cinquante enfants fréquentent actuellement l’école locale. « Si la guerre continue, toutefois, il sera impossible d’avoir une école. »

La famille de Sabah est allée s’installer en amont de la vallée. Elle vit dans une maison avec trois autres familles de déplacés. Une ONG est venue leur distribuer des couvertures et des matelas. « Nous avons besoin d’un abri. Nous n’avons pas besoin de matelas et de couvertures. » Sabah n’a pas voulu accepter une aide dont il n’avait pas besoin.

Même s’il craignait le retour des drones et des avions, Sabah a pris le temps de nous montrer les dommages qu’a subis sa propriété à Zargali. Le sol était jonché des éclats de verre des fenêtres. Deux cousines de Sabah ont été gravement blessées par les éclats d’obus et sont actuellement soignées à Erbil. L’une d’elles est devenue aveugle.

« Je venais tout juste de commencer à aménager mon jardin et à nettoyer l’environnement. Regardez comme c’est beau ici. Ça me donne envie de m’apitoyer sur mon sort. » Des petits rosiers et des rangs de basilic pourpre ornent le jardin de Sabah.

Sabah estime que les Turcs ont obtenu des renseignements erronés et que le village a été ciblé par erreur. D’autres croient que les avions ciblaient deux maisons du village fréquentées par des visiteurs venus de la Turquie et de l’Iran qui sont sans doute des cellules de renseignement du PKK.

« Nous n’aimons pas que les belligérants se servent de nous comme d’un outil dans leur conflit, qu’ils utilisent les civils dans leurs combats », a dit Sabah. « Nous voulons simplement vivre paisiblement dans nos villages comme tout le monde. »

Il semble que les villageois aient de la difficulté à trouver des hébergements abordables dans les villes situées à proximité. Un travailleur humanitaire des Nations Unies a dit qu’ils pouvaient s’installer dans l’un des camps pour personnes déplacées. L’agence humanitaire du gouvernement turc gère en effet un camp pour les Irakiens déplacés par les violences commises par l’EI à quelques centaines de kilomètres de là.

« La Turquie a également établi ou facilité l’établissement de quatre camps... dans le nord de l’Irak. Ces camps accueillent 40 000 personnes déplacées », a dit Faruk Kaymakci, l’ambassadeur turc en Irak. « Depuis le début de la crise en Irak, la Turquie offre une aide humanitaire à l’Irak ; le pays soutient également l’Irak dans sa lutte contre Daesh (EI) et dans ses efforts pour surmonter la crise humanitaire. » Istanbul accueillera le Sommet humanitaire mondial en 2016.

Au moment de notre départ du village, on pouvait entendre des voix rapportant la présence d’un hélicoptère grésiller dans les talkiewalkies.

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L’environnement généralement idyllique des montagnes kurdes a été perturbé par les frappes aériennes.